C’était Faust

CLAP DE FIN OU JUSTE APRES LA MAGIE

On a évoqué mon nom en janvier 2023. Il faisait froid, il faisait gris ; mon compagnon Turandot était en pleine construction. C’est quelques mois plus tard, en juin, que le verdict tombe : je suis retenu comme matière première de la Fabrique Opéra 2024. Mon ossature devait rester intacte mais mon enveloppe se devait originale et moderne. La fourmilière s’est donc activée ; dix mois plus tard, je me suis donné en spectacle au Summum de Grenoble le 29, 30, 31 mars et 2 avril 2024.

Faust, c’est l’histoire d’un pacte entre un vieil homme et le diable : la jeunesse contre la servitude éternelle. Je me suis défait de mes vieilles mises en scène classiques et parfois ennuyeuses, j’ai mis de côté aussi celles farfelues qui se situaient dans l’espace ou dans un temps hors du monde. Cette fois-ci je prendrai place dans un hôpital pendant Noël. Les vieux lits des années 1960 en inox porteront mon premier acte et brilleront en résonance avec les immenses panneaux de deux mètres cinquante posés de façon à recréer la salle des malades. La passerelle sera drapée d’une couleur chaude et dominera les tables bigarrées et les bancs argentés de la Kermesse (Acte II). Ensuite, c’est l’oratoire en plexiglass paré de croix lumineuses et la chambre de Marguerite cachée par des rideaux qui accueilleront l’air de Siebel et les débats amoureux de Faust et de notre héroïne (Acte III). L’entracte me permettra de souffler vingt minutes, toutes ces entrées et sorties qui se succèdent m’épuisent et me rend au fil de l’heure un peu moins attentif. Mais mon quatrième acte sonnera la fin de l’ennui pour mes spectateurs et moi-même, car nous ouvrirons les rideaux sur un tableau immobile dont seuls les raies de lumière bleue en révéleront la poésie. Cette scène dénuée de décors mais animée par des sopranos en tablier bleu est ma préférée. Je me laisserai alors bercer par le désespoir de Marguerite et savourerai toute la douceur et la tristesse de ces trente minutes. Rapidement, l’acte cinq viendra conclure en beauté mon histoire : les flammes auront été transportées de l’Enfer jusque sur la scène, les femmes et les homme du chœur en noir et nos deux personnages maléfiques en rouge. La dernière image me fait d’ailleurs trembler de mélancolie. Cette réminiscence qui retrouve les traces de son futur et qu’elle salue d’une lumière jaune et aimante rempliront la salle de larmes timides troquées par la suite contre des applaudissements enthousiastes et forts.

Deux grosses semaines sont déjà passées depuis la dernière représentation de notre Faust. La fourmilière n’a pas cessé de fonctionner, et ce depuis l’été 2023. Dix mois, c’est ce qu’il faut pour monter un projet de cette envergure avec des convictions et des engagements forts. Cette année, et comme chaque année, a été remplie de joies, de victoires, de rires et de satisfactions mais aussi de déceptions, de colères et de frustrations. Les filles du bureau ont porté cet Everest avec amour et courage, ainsi que tous les autres : les cheffes et chefs de chant et de chœur, les professeurs et leurs élèves, le chef d’orchestre, le metteur en scène et son assistante, le directeur technique et toute son équipe et enfin toutes et tous les bénévoles investis dans ce projet magique. Cette immense entreprise a mis des étoiles dans les yeux des enfants et des jeunes de la région Iséroise, mais aussi dans ceux des choristes, des musiciens, et de tous les bénévoles qui ont vécu une aventure hors du commun durant huit mois.

Quand je vous dis que c’est une fourmilière, ce n’est pas un choix hasardeux : 700 personnes ont été impliquées cette année dans la réalisation du spectacle entre les élèves, les apprentis et étudiants (450), les bénévoles (72 choristes), l’équipe administrative, les partenaires publics et privés, les techniciens, les artistes (7 solistes),… Voilà dix-sept années que La Fabrique Opera met en œuvre tout son art et son savoir faire pour littéralement fabriquer un opéra comme ils m’ont fabriqué, dépoussiéré et mis en lumière. Cette année, Faust a fait venir 7500 personnes entre la générale, encadrée par le Lycée Guynemer, la première et les trois soirs d’après. Depuis la scène, je vous ai vu faire la queue dans le froid et le vent avec vos billets et vos sourires. Vous avez été accueillis et placés par les élèves du Lycée Mounier colorés de leur nœuds en satin rose et orange. Certains d’entre vous ont eu la curiosité et le plaisir d’être pris en photo dans un décor particulier organisé et inventé par les élèves du lycée Aristide Bergès. D’autres encore ont imaginé et projeté ce que les décors pourraient être, je ne sais pas si vous avez visé juste mais en tout cas les élèves de l’IMT ont mis le paquet cette année entre la passerelle haute de deux mètres, les panneaux translucides s’élevant à quatre mètres, les cadres des photos poncés et retravaillés minutieusement, les tables conçues et faites à la main et le fameux escalier en colimaçon réutilisé d’une année sur l’autre. Pour ceux qui ont pu passer derrière le rideau à l’entracte, c’est aussi l’IMT et sa section Métiers de Bouche qui a régalé vos papilles. Et enfin, j’ai vu vos yeux s’écarquiller lorsque vous avez vu les coiffures et maquillages imaginés par l’Ecole Terrade Grenoble et les premiers costumes entièrement réalisés par les élèves du Lycée Argouges. Vous avez surement été étonnés par toutes ces couleurs, du fuchsia au orange, en passant par toute une palette de déclinaisons de bleu et surtout par la juméléité des costumes de Faust et de Méphistophélès, gris et bordeaux d’abord, gris et rouge ensuite… Pendant le spectacle, j’ai cru comprendre que les sièges n’étaient pas confortables mais que le travail de la lumière mené par Jacques ROUVEYROLLIS et Jessica DUCLOS sur la scène et les décors impressionnants faisaient oublier ce léger détail.

Bon, je ne me souviens plus vraiment de la suite. Mon spectacle était fini et vous aviez tous faim alors vous êtes partis mais vous aviez l’air heureux. C’est tout ce que je retiens. Merci de m’avoir fait vivre à travers ce nouveau regard, de m’avoir porté jusque sur cette scène atypique et de m’avoir montré à de nouveaux et d’anciens publics avertis ou néophytes. A l’année prochaine ! Enfin, ce ne sera pas moi, mais venez quand même pour continuer de faire vivre La Famille Opéra.


Rédaction : Apolline ROUX

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